[Parole d’expert]
Dans un contexte de mutations profondes et accélérées du secteur bancaire, marqué par l’innovation technologique et l’évolution des attentes des consommateurs, les institutions financières traditionnelles se trouvent à un carrefour stratégique. Les défis de la transformation digitale, l’arrivée des géants technologiques dans le secteur, la lutte contre la fraude financière et l’adoption de pratiques d’investissement durable sont au cœur des préoccupations des acteurs de ce domaine. Pour éclairer ces enjeux, nous nous sommes, avec notre expert du secteur, Olivier de Montety, penchés sur trois items cruciaux qui dessinent l’avenir du secteur bancaire.
L’entrée des GAFAM dans le secteur financier
X-PM : Après une première percée à travers les solutions de paiements, Apple a lancé en 2023, en partenariat avec la banque Goldman Sachs, un premier compte épargne rémunéré. Ce partenariat entre les géants de la technologie et les institutions financières traditionnelles, illustrent une nouvelle ère de convergence entre les GAFAM et la finance. Cela soulève donc des questions sur l’impact de ces géants sur la concurrence, l’innovation et la régulation dans le secteur. Comment percevez-vous cette évolution ? Quelles stratégies devraient adopter les banques traditionnelles pour naviguer dans ce paysage en mutation ?
ODM : Il est important de considérer que la relation entre les GAFAM et les banques traditionnelles peut être comparée à l’émergence de la grande distribution dans les années 80, lorsqu’elle a commencé à émettre des cartes de paiement. Il est plausible que les grandes entreprises technologiques exploitent leur expertise dans la collecte de données pour les intégrer à des services bancaires et des solutions de paiement, comme on l’observe déjà avec Apple et ses offres de crédit. Cependant, il serait erroné de penser que les grandes entreprises technologiques actuelles vont devenir des banques au sens conventionnel du terme. En effet les exigences réglementaires et financières propres aux banques sont très lourdes (fonds propres, compliance etc.) et les GAFAM privilégient l’agilité. On peut donc penser à des partenariats avec les acteurs bancaires plus qu’à une concurrence frontale.
Avancées dans la lutte contre la fraude financière
X-PM : L’intelligence artificielle est devenue un outil déterminant dans la lutte contre la fraude bancaire, transformant les capacités de détection et de prévention des institutions. A partir de votre expérience, comment évaluez-vous l’impact de ces technologies sur la sécurité des opérations bancaires ? Y a-t-il des exemples spécifiques ou des cas d’utilisation que vous considérez comme des références dans ce domaine ?
ODM : L’utilisation du terme « fintech » est significative car elle reflète le fait que les établissements financiers ont toujours été des pionniers dans l’adoption des avancées technologiques. Sur une période de plus de 60 ans, ces institutions ont intégré les progrès de l’informatique, des transferts de données, des télécommunications, et bien d’autres domaines. Aujourd’hui, les développements, notamment les algorithmes et l’intelligence artificielle, sont déployés par les établissements financiers dans deux domaines cruciaux : la détection de la fraude et les décisions de crédit.
Il est essentiel de noter que l’utilisation d’algorithmes pour la détection de la fraude n’est pas une nouveauté complète. Bien avant les avancées actuelles, des algorithmes moins sophistiqués étaient déjà employés il y a plus de 20 ans dans les établissements de crédit. Ils étaient utilisés tant pour identifier la fraude liée aux paiements par carte que pour repérer les fausses informations dans les demandes de crédit.
En ce qui concerne des exemples spécifiques, bien que je ne puisse pas divulguer de noms, je peux affirmer que parmi les établissements financiers avec lesquels X-PM collabore actuellement, plusieurs mènent des travaux de recherche et développement sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer les algorithmes d’octroi de crédit. Cela est particulièrement prononcé dans le domaine des crédits à la consommation, où la rapidité des réponses aux clients est cruciale en raison de la nature peu documentée et peu sécurisée de ces prêts.
Impact du nouveau Label ISR sur les banques traditionnelles
X-PM : La refonte au 1er mars prochain du label ISR représente une étape importante vers une finance plus durable et responsable. Face aux défis d’écoblanchiment et aux exigences croissantes des critères ESG, quel rôle ce label peut-il jouer dans la transformation des stratégies d’investissement des banques ? Comment voyez-vous l’impact de cette initiative sur le positionnement et la perception des banques auprès de leurs clients et investisseurs ?
ODM : Le label ISR pour les fonds d’investissement a évolué sous différentes formes au cours des cinq ou dix dernières années. Récemment, des annonces ont été faites en vue de renforcer ce label, le 1er mars et d’exclure totalement les investissements liés au financement des énergies fossiles pour une finance plus durable et responsable.
Une initiative qui viserait à renforcer les critères en excluant explicitement tout lien avec le financement des énergies fossiles, marquerait un progrès significatif.
Il est regrettable que cette démarche n’ait pas été réalisée à l’échelle européenne, ce qui limitera son impact et sa mise en œuvre. Une concertation plus large aurait été souhaitable, impliquant les agences de rating existantes, les acteurs de l’Asset management, et une coordination à l’échelle européenne.
Les investisseurs finaux, soucieux de transparence, aspirent à comprendre la composition des fonds et portefeuilles dans lesquels ils investissent. Vendre un fonds sous une appellation « verte » tout en incluant des actions ou des obligations liées aux énergies fossiles ne peut être toléré par les consommateurs finaux. Ainsi, une plus grande clarté et transparence sont nécessaires dans ce domaine.
Sur le plan systémique, il est crucial de ne pas sous-estimer les conséquences potentielles de l’exclusion, pour des raisons écologiques ou morales, de certaines industries du financement « normal ». Il existe un risque que ces industries cherchent des financements « alternatifs », potentiellement opaques et difficiles à contrôler. Par conséquent, il est essentiel de reconnaître que la résolution de ces problèmes ne peut reposer sur une réponse unique et nécessite une approche globale.