L’entrée en vigueur de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) bouleverse les pratiques existantes dans les entreprises, notamment en ajoutant des responsabilités complexes pour les Directeurs Administratifs et Financiers (DAF). Il est question d’une révolution des rôles : le DAF n’est plus seulement le garant de la consolidation financière mais doit désormais intégrer les indicateurs de développement durable dans son périmètre d’action. Afin de mieux éclairer ce tournant, nous avons sondé les réflexions et conseils d’Eric-Jean Pankowski et de Xavier Véret, tous deux Directeurs Associés X-PM et experts dans la fonction finance.
Le nouveau visage du DAF face à la CSRD
À travers la CSRD, le DAF endosse de nouvelles responsabilités : il devient consolideur, corrélateur et communicant. Une trilogie de fonctions qui ajoute à la fois de la complexité et une responsabilité supplémentaire à son poste. Il est le garant de l’intégrité des informations sortantes de l’entreprise. Traditionnellement, le DAF était le gardien des finances de l’entreprise, veillant à la précision des états financiers et à la conformité réglementaire. Avec l’avènement de la CSRD, son rôle s’étend bien au-delà de ces missions traditionnelles. Il doit désormais comprendre et gérer un large éventail de données non financières, allant des émissions de carbone aux pratiques de gouvernance d’entreprise et les intégrer dans le rapport global de durabilité de l’entreprise, en tant que garant des communications réglementées.
Des profils hybrides en Finance
Afin d’assumer ces nouvelles responsabilités, le besoin d’hybridation des profils se fait sentir. Les DAF doivent avoir une connaissance encore plus intime des métiers de l’entreprise, en se basant sur une meilleure irrigation des informations au sein de l’organisation. De plus, ils doivent être capables de naviguer à travers les domaines traditionnels de la finance ainsi que les aspects plus complexes et qualitatifs de la durabilité. Cela nécessite, en conséquence, des compétences interdisciplinaires et une capacité à collaborer encore plus efficacement avec d’autres départements tels que la RSE, la DSI et les opérations. Les DAF doivent être à la fois des « chiffriers qualifiés » et des stratèges capables de comprendre l’impact financier des décisions liées à la durabilité (et inversement).
Intégration IT et défis des données
L’intégration de la CSRD dans les processus existants de l’entreprise représente un défi substantiel, avec la nécessité de gérer jusqu’à 1 200 points de mesure. Cela peut impliquer l’extension des ERP existants ou la mise en place de systèmes métiers spécifiques pour y parvenir. Les DAF doivent collaborer étroitement avec les équipes informatiques pour s’assurer que les systèmes de collecte, de stockage et de reporting des données sont en place et fonctionnent de manière efficace et sécurisée. De plus, ils doivent être en mesure de garantir la qualité et l’intégrité des données, tout en respectant les normes de confidentialité et de conformité réglementaire.
Quelle place pour le DAF dans la RSE ?
La question se pose : le DAF doit-il seul « tamponner » les rapports ou doit-il plutôt former un binôme pilote-copilote avec la direction du développement durable ? Il semblerait que l’approche la plus vertueuse soit celle de la collaboration, où la responsabilité est partagée et la légitimité de chaque partie respectée. La RSE ne peut plus être considérée comme un aspect périphérique des opérations commerciales, mais plutôt comme un élément essentiel de la stratégie globale de l’entreprise. En tant que gardien des ressources financières, le DAF apporte une perspective unique sur la manière dont les initiatives de durabilité peuvent être intégrées de manière rentable et efficace dans les opérations de l’entreprise. Cependant, pour réussir dans ce rôle, le DAF doit travailler en étroite collaboration avec la direction du développement durable et d’autres parties prenantes clés pour aligner les objectifs financiers et non financiers de l’entreprise.
Le Rôle Pivot du DAF dans le reporting de durabilité
Une fois les données collectées, corrélées et certifiées, une nouvelle étape se présente : l’engagement sur les plans obligatoires de remédiation et le pilotage transverse de leur mise en œuvre. Dans ce contexte, l’empowerment du directeur RSE est essentiel, et le DAF garde un rôle central dans l’arbitrage entre les améliorations RSE et la performance globale de l’entreprise. Le DAF doit être en mesure de fournir des analyses financières robustes pour évaluer l’impact financier des initiatives de durabilité proposées et aider à prioriser les investissements en conséquence. De plus, il doit travailler en étroite collaboration avec les parties prenantes internes et externes pour communiquer de manière transparente les progrès réalisés et les défis rencontrés dans la mise en œuvre de la stratégie de durabilité de l’entreprise.
La CSRD n’est pas seulement une nouvelle obligation réglementaire ; elle représente une transformation profonde du rôle du DAF, qui doit désormais conjuguer fiabilité des données financières et extra-financières et communication stratégique. La réussite dans cette nouvelle ère repose sur l’adaptabilité des DAF, sur leur capacité à collaborer étroitement avec les directions RSE et SI, ainsi que sur leur compétence à piloter le changement dans l’ensemble de l’organisation. Alors que les entreprises se préparent à embarquer dans ce voyage, il devient crucial de reconnaître les défis inhérents à cette transition et de s’y préparer de manière proactive. Les DAF qui réussiront dans ce nouveau paysage financier seront ceux qui embrasseront pleinement leur rôle élargi et travailleront activement à intégrer la durabilité dans la stratégie et les opérations de leur entreprise. La contrainte de la CSRD devient donc une opportunité pour les DAF d’enrichir leur zone d’expertise et d’accroître leurs compétences et influence au profit des entreprises qu’ils servent.